Je déteste mon roman

Je déteste mon roman

Depuis quelques semaines, je suis criblée de doutes par rapport à mon roman et à l’écriture en général. Une vraie torture. Cela a été particulièrement difficile pendant le week-end de Pâques. Je me suis réveillée en larmes, deux jours d’affilée…

Il fallait que ça sorte, alors j’ai tout lâché par écrit. C’est ce texte que je partage aujourd’hui. J’ai longtemps hésité à le faire, car il est très personnel et pas forcément joyeux. Mais au final, je me dis qu’il faut pouvoir montrer cela aussi. L’envers du décor. Montrer que même si l’écriture est une passion, ce n’est pas toujours bisounours, licornes et cupcakes. Parfois on la hait cette passion. Parfois on déteste nos propres romans. Ça peut arriver. Et c’est OK. Ça fait partie du processus aussi je pense.

Voici donc une part très personnelle de moi-même, que je vous confie dans l’espoir qu’elle pourra vous aider, vous montrer que vous n’êtes pas seul, si jamais vous êtes aussi confrontés à cela. 

Pour vous donner quelques éléments de contexte : je parle ici de mon roman L’oubliée du lac. J’ai beaucoup de mal avec cette histoire. Il y a des problèmes que je ne parviens pas à régler. Le jour où j’ai écrit ce texte, je ne parvenais plus à lutter contre le sentiment de découragement qui s’était abattu sur moi…

Bonne lecture.

 

Les doutes de l’écrivain

 

Et si je n’étais pas faite pour écrire ce roman ? Et s’il valait mieux l’abandonner ? Et si au fond, cette histoire n’était pas faite pour exister ailleurs que dans mon esprit ? Et si je devais passer à une autre ?

Au moment où j’écris ces mots, j’ai envie de pleurer en pensant à ce roman. Parce que je n’en peux plus. Parce que je ne cesse de m’arracher les cheveux. Parce que je n’en peux plus de sentir que la réponse est là, quelque part en moi et que je ne parviens pas à la trouver. J’en ai marre d’avoir envie de me taper la tête contre les murs pour la faire sortir !

J’ai envie d’arrêter. D’arrêter d’écrire ce roman. D’arrêter d’y réfléchir sans arrêt. D’arrêter de faire tourner ma vie entière autour de lui… Ne plus être prisonnière de cette histoire, qui n’a plus rien à voir avec ce que je voulais écrire à la base et que pourtant je n’arrive pas à réparer. Je suis à bout… Tous ces changements. Ces modifications, ces retours en arrière, ces ajouts, ces suppressions… Est-ce que c’est vraiment censé être aussi difficile ? Oui je sais qu’écrire un livre ce n’est pas facile… Mais à ce point-là ? Est-ce normal ? Est-ce que je vais chercher trop loin ? Est-ce que je ne suis tout simplement pas faite pour ça ? Est-ce que j’ai tort de m’acharner ?

J’essaye de me souvenir pourquoi je me suis lancée là-dedans. Pourquoi j’ai voulu écrire ce livre à la base ? Avais-je quelque chose à dire ?

Non… le message est venu après… Au départ je l’ai écrit pour moi. Il avait un côté thérapeutique. Peut-être que le problème est là. J’ai sorti ce que j’avais à sortir, et maintenant… Il n’y a plus rien à extraire, ni rien à en faire… Peut-être que vouloir mettre en forme une souffrance est idiot au final. Ou irréaliste. Une souffrance n’est pas faite pour être modelée, amadouée, lissée. Elle est brute, vivante, elle colle à la peau, elle étouffe. Une fois qu’elle est sortie, pourquoi chercher à essayer d’en faire quelque chose de joli ? De cohérent. De clair et lisible… On s’en fout ! Une souffrance c’est une souffrance et si on a besoin de la sortir, on la gueule ! On l’expulse de soi, on la jette au loin et on l’y laisse. On ne revient pas pour la tailler et la polir…

Pourquoi j’ai fait ça ? Pourquoi j’ai changé ce qui était brut ? Pour faire plaisir aux gens ? Séduire le lecteur ? Le lecteur ne sait pas… Il ne sait pas ce qui se cache derrière les mots, derrière les yeux de celui qui sourit pour la photo Instagram ou la vidéo YouTube. Il ne connait pas l’âme noire qu’il peut y avoir derrière une jolie phrase bien travaillée… La noirceur de l’amertume. Celle qui fait que tu as envie de hurler. Hurler sur tout ce qui bouge, à commencer par toi-même… Hurler sur ce qui respire, parce que ça fait du bruit dans ton oreille et interrompt ta réflexion… Hurler sur ceux qui t’aiment, parce qu’au fond, toi-même tu ne te supportes plus ! Laisse-moi hurler sur mes pages. Laisse-moi te cracher mes tripes à la gueule. Laisse-moi te salir avec le poison que j’extrais de mon esprit.

Mon roman était censé être le reflet de mon âme. Une partie du moins. Si mon âme ressemble à ce qu’il est aujourd’hui, j’ai envie de pleurer. Je ne suis pas une barbe à papa et je n’ai pas envie de l’être ! L’histoire d’amour a pris le dessus sur l’histoire de haine, je hais cela. Je ne suis pas joyeuse et pétillante. Je suis sombre et torturée, je l’ai toujours été… Alors pourquoi j’ai fini avec un feel-good entre les mains ? Comment c’est arrivé ? Comment ça a pu arriver ?

 

Qu’est-on censé faire, quand on déteste notre propre roman ?

Est-on censé le brûler ? Le détruire ? Le recommencer ou juste l’abandonner ? Passer à autre chose, est-ce un aveu d’échec ?

 

J’étais si fière de ce roman à une époque. Il ne ressemblait à aucun autre et c’était très bien comme ça. Tant mieux. Il n’entrait dans aucune case, tout comme moi, et ça m’arrangeait. Il ne respectait pas les codes et je l’aimais pour ça. Maintenant, chaque fois que j’essaye de revenir à ça, l’effroi me rattrape. Non je ne peux pas le laisser comme ça… Il parait qu’il était mauvais. Ennuyant. Un peu tiré par les cheveux aussi.

Cela me rend perplexe d’ailleurs. Comment peut-on être à la fois tiré par les cheveux et ennuyant ?

Je me hais en cet instant. Je n’ai jamais suivi les tendances. Jamais. Mais je ne fais que ça depuis des mois… Et j’ai envie de pleurer en faisant ce constat. J’ai bousillé un roman qui était une partie de moi-même très particulière, pour suivre des avis, des conseils d’écriture, une méthode millimétrée et calculée… J’en suis arrivée à compter les scènes bordel ! Compter les scènes pour être sûre que le midpoint arrive vraiment au milieu du roman. Pour savoir combien de scènes étaient consacrées à l’intrigue principale et combien à l’intrigue secondaire. Treize scènes dans l’acte un. Quarante-deux scènes dans l’acte deux. Huit scènes dans l’acte trois. Déjà là le calcul est mauvais. Ça devrait être 25%-50%-25%. On n’y est pas… Quarante-deux scènes dans l’acte deux. Neuf consacrées à l’intrigue principale. Seize à la romance. Elle est devenue mon intrigue principale. Salope ! Tu n’étais pas censée prendre autant de place.

Qu’est-ce que tu fous Emily ? Pourquoi tu calcules ? Pourquoi tu suis des méthodes, des techniques pareilles qui appauvrissent ton écriture, aseptisent ton style, éteignent la vie, étouffent l’âme de ton roman ? Tu ne suis pas les règles, ni les tendances. Pourquoi t’obstiner à vouloir le faire dans ton roman ? Pour être sûre qu’il se vende ? Qu’il plaise ? Depuis quand t’attardes-tu sur ce que les gens vont penser de toi ou de ce que tu fais ? Depuis quand fais-tu ce qu’on est censé faire ? Chaque fois que tu as essayé, tu as fini par pleurer… Ah tiens… C’est peut-être pour ça que je pleure aujourd’hui…

Tu t’es perdue en chemin… Tu as cessé d’exister, d’être toi, pour devenir un auteur. Un auteur qui suit les règles et les conseils… Cela t’a-t-il vraiment rendu service ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Être toi ? Ou être un auteur ? Suivre les règles ? Ou écrire ta vérité ?

Le désamour de l’écriture

 

Mon roman est une merde et je ne l’aime plus… Dois-je le quitter ? Au fond c’est l’éternelle question… C’est comme en amour. Rester et essayer d’arranger les choses ? Ou partir pour découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles personnes peut-être plus intéressantes ? Jusqu’à quand peut-on tenir ? À quel moment faut-il dire stop ? Quand est-il trop tard pour rattraper le coup ?

Mais d’un autre côté… En amour si on s’en va dès que ça ne va pas, et qu’on passe son temps à changer de partenaire, on ne développera jamais de relation profonde et pleine de sens… Est-ce vraiment mieux ? Sauter d’un roman à l’autre, ne jamais rien finir ? Vais-je être un écrivain maudit, célèbre après ma mort pour les dizaines de manuscrits jamais aboutis ? Arriverais-je un jour à respirer si je ne finis jamais rien ?

Je n’ai plus envie d’écrire… Voilà c’est dit. Je n’ai plus envie d’écrire… Et j’ai envie de pleurer en écrivant cela. De la même façon qu’une relation désastreuse peut nous dégouter de l’amour, un roman foiré peut-il nous dégouter de l’écriture ? Il semblerait…

Pourtant elles sont là les autres idées. Elles n’y peuvent rien si je n’aime plus écrire. Elles sont là, dans leur coin, elles ne demandent pas mieux que de m’aider à retrouver le chemin du plaisir et de la passion… Oui l’écriture est sensuelle aussi… Comme ces mecs de transition avec lesquels on s’amuse un peu, après une relation trop prise de tête… Mes idées d’histoires seront-elles des histoires de transition ? Et si c’est le cas, retrouverais-je un jour un partenaire solide ? Durable ? Ou vais-je enchaîner les amourettes littéraires ?

Devrais-je plutôt rester une célibataire de l’écriture pour l’instant ? Ne pas écrire. Ne plus forcer. Ne plus réfléchir. Ne plus planifier. Ne plus hésiter surtout… C’est ça aussi qui me tue… L’hésitation me fait danser d’un pied sur l’autre, en permanence… Un coup je veux, un coup je ne veux pas. Un coup je reprends mon roman tel qu’il était à la base. Un coup je continue à essayer d’améliorer ce qu’il est devenu. Un coup j’arrête… Un coup je continue…

Je suis fatiguée… Fatiguée de mes propres hésitations. Fatiguées de tous ces atermoiements. Fatiguée d’avoir envie de pleurer quand je pense à mon roman. Fatiguée d’être en colère contre moi-même. Fatiguée de faire la gueule quand j’essaye d’améliorer mon histoire. Je ne suis qu’une merde en ce moment. Je n’arrive à rien, parce qu’il n’y a rien à faire. Il est foutu. Cassé au-delà du réparable. Brisé dans son âme propre…

Comment répare-t-on une âme ? Faire pénitence ? Se repentir ?

Me repentir de quoi ? D’avoir voulu me plier aux règles du jeu ? Aux conseils d’écriture, aux techniques élaborées ? Merde aux conseils d’écriture ! Merde aux techniques ! Blake Snyder, John Truby, K.M. Weiland, Jessica Brody, même toi Joseph Campbell… Allez vous faire foutre ! Vous avez peut-être convaincu le monde que c’est comme ça qu’on écrit, mais pour moi ça a aggravé les choses. À force de vouloir suivre les méthodes, j’en suis venue à détester mon propre roman… Quelque chose ne va pas dans ce constat… Certes un diamant taillé a plus d’éclat qu’un diamant brut. Mais mon roman n’est pas un diamant. Le tailler à l’extrême ne l’a pas rendu plus beau. Laissez-le brûler et se consumer. Il a été écrit pour cela. Je l’ai écrit pour cela. Il était sombre. Lourd. Pesant… Pourquoi en serait-il mauvais pour autant ?

 

PS: Je n’ai pas été plus loin dans la réflexion et l’écriture de ce texte. Ou devrais-je dire dans le vomissement de ce texte, car c’est clairement quelque chose de brut qui est sorti tout seul, d’un coup…

Et si après l’avoir lu vous vous demandez si je vais mieux, la réponse est non. Enfin, un petit peu, mais je suis loin d’être revenue au top.

Néanmoins je sais que ce n’est pas une raison pour tout envoyer promener. Il faut y aller doucement, un jour à la fois… Reste à faire taire la petite voix dans mon esprit… Comment on la muselle cette garce ?

5 réflexions sur “Je déteste mon roman”

  1. Un dicton dit : « Les gens extraordinaires (…) sont ceux qui abandonnent les copies imparfaites et se dirigent vers des originaux parfaits » . Tu ES une originale parfaite, ne laisse personne t en faire douter, apprendre à perfectionner son art oui, mais pas au point de se perdre soi même. Plus envie d écrire ce roman là, plus envie d écrire du tout, et alors? De ce que j ai pu entrevoir de cette part de toi (et franchement bravo, car il faut oser se mettre à nue comme tu le fais) c’est que , je peux me tromper, tu aurais peut – être besoin de te reconnecter avec toi même et retrouver un accord profond avec toi même. Tu t arrêterais d’écrire quelques temps pour faire plein d autres choses que tu as envie de faire afin de retrouver un côté zen, tu n en resteras pas moins écrivaine.
    Quand un sportif est entre 2 saisons ou deux combats il n en reste pas moins un sportif; quand un professeur est en congé juillet et août il n’en reste pas moins professeur, quand un militaire est en permission, il n en reste pas moi soldat. Pourquoi ce serait différent pour les auteurs?
    Je suis de tout coeur avec toi et derrière toi. Tu es un diamant brut, alors brille comme les étoiles lors d une nuit calme, scintille comme le soleil un jour d’été, mais fait le pour toi et pas pour plaire aux autres ou parce qu’ « on a toujours » fait comme ça 😉 .

  2. Lucyle Maurice

    Merci de nous avoir partagé ce texte aussi brut que touchant. J’espère que tu iras vite mieux peut importe la décision que tu prends vis à vis de l’écriture ou de ton roman. Fighto ! Quand mon gros projet m’ennuie (pour rester polie), j’écris des petits textes ou participe à des petits défis d’écriture. ça me permet d’oublier la bête suffisamment longtemps pour ne plus la dénigrer autant. Courage et prends soin de toi !

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