Exercice d’écriture 1: Obsession, Super-Cochon et naïveté

Le jeune homme consultait sa montre régulièrement.

9h06

9h11

9h17

Plusieurs fois la jeune fille voulut réengager la conversation mais il l’ignora. A la fin, il finit par lui prêter une de ses BD pour qu’elle se taise.

9h23

9h28

Il referma son album et le rangea, récupérant au passage celui de la jeune fille. L’heure approchait…

9h42

La foule se massait maintenant devant la porte de l’entrepôt et il devait jouer des coudes pour rester en première place. Il jeta un coup d’œil en coin à la petite brune qui trépignait d’impatience. Cette fille pensait réellement que Super-Cochon existait pour de vrai ! Comment pouvait-on croire une chose pareille ?! Outre le fait qu’un cochon n’aurait jamais de telles capacités, s’il avait dû exister, pourquoi aurait-il perdu son temps à jouer dans des films ? Cette logique à elle seule aurait dû lui faire comprendre…A moins que…

– Je me demande ce qui est arrivé aux poules que Super-Cochon a secouru il y a quelques années, hasarda-t-il négligemment.
– Quoi, tu ne t’en souviens pas ? Il les a amenées chez un fermier bio voyons ! Elles coulent des jours heureux maintenant. J’aimerais bien savoir où est cette ferme pour aller leur rendre visite, dit-elle le regard rêveur.

Le jeune homme ouvrit des yeux encore plus ronds qu’auparavant ! Mais oui, cette gonzesse pensait vraiment que tout cela était réel ! Quelle espèce de folle avait-il rencontrée là ?!

Il n’eut pas le temps d’analyser la question : les portes de l’entrepôt commençaient à s’ouvrir. Il mit son badge bien en évidence sur sa veste et commença à courir vers le grand hall où se tenait la convention, ignorant les caisses destinées à ceux qui n’avaient pas encore acheté leur entrée. Il entendait derrière lui le bruit de la foule sur ses talons. Heureusement il avait appris le plan par cœur et savait où se diriger pour rencontrer James Macer. Sans un regard pour les répliques de vaisseaux spatiaux et autres comédiens déguisés en super-héros, il fonça vers la salle du fond.

Son idole était bien là, attablée devant une énorme affiche de Super-Cochon. L’homme portait une casquette à l’effigie de sa création. Des cheveux blancs en dépassaient, surplombant un visage ridé, bruni par le soleil. Une pile de bandes dessinées trônait sur la table à côté de lui et il semblait de fort mauvaise humeur. Ce que le jeune homme ne remarqua pas bien sûr, tout fasciné qu’il était. Il s’approcha d’un pas incertain en ouvrant son sac. Même s’il avait rêvé de ce moment durant des mois, il se sentait un peu intimidé d’être face à ce créateur de génie.

– Bonjour M. Macer, dit-il d’une voix pleine d’adoration. Ravi de vous rencontrer enfin en personne, je suis votre plus grand fan !
– Tu n’es pas le premier à me le dire mon garçon, répondit James Macer d’une voix morne. Tous les fans pensent qu’ils sont les plus grands !
– Mais moi c’est le cas. J’ai suivi les aventures de Super-Cochon depuis le tout début. J’ai lu toutes vos histoires, j’ai vu tous les films des dizaines de fois, et j’ai même une pièce remplie de figurines qui…
– Ouais ouais ouais, grommela l’auteur en tendant une main vers la pile de BD. Bon c’est quoi ton nom petit ?
– Oh non pas besoin monsieur, j’ai mes propres exemplaires ! Regardez j’ai même pris quelques objets, si vous voulez bien me les signer aussi s’il vous plaît ?
– Ah non, désolé, un exemplaire de BD par personne c’est tout ! Sinon lundi j’y suis encore, tu as vu le monde qu’il y a derrière toi ?! J’ai une ferme à faire tourner moi !

Déçu, le jeune homme se retourna et vit la petite brune qui attendait à 10cm du lui. Il tendit l’une de ses bandes dessinées à James Macer, qui la prit sans lui accorder un regard.

– Puis-je au moins vous poser une question ? Pourquoi avez-vous créé Super-Cochon ?

Le vieux dessinateur leva la tête vers lui.

– Ça alors, c’est bien la première fois que quelqu’un me le demande ! Ça me paraît évident pourtant. Il fallait bien que quelqu’un le fasse ! Avec la façon dont tous ces industriels traitent les animaux, comme si c’était de la vulgaire marchandise sans âme ! Moi dans ma ferme, on a toujours bien traité les bêtes, depuis 4 générations qu’on est fermiers ! Jamais leur en demander plus qu’elles ne peuvent donner, jamais les laisser enfermées les unes sur les autres, entassées par dizaines dans des cages minuscules, jamais les doper aux hormones ou je ne sais quelle saloperie pour qu’elles grandissent plus vite ! Non Monsieur, nous on respecte les bêtes !
– Et c’est merveilleux, intervint la petite brune en souriant. Tout le monde devrait faire pareil !

Le jeune homme grogna en la regardant. C’était encore son tour ! Il eut envie de la pousser du coude, mais reporta son attention sur son idole.

– Oui, sauf que de nos jours les gens s’en fichent des animaux ! Tant qu’ils peuvent payer leur steak moins cher ou manger des tonnes de foie gras à Noël, ils se foutent de savoir comment les bêtes ont été traitées ! Ils s’intéressent bien plus à ce qu’il se passe à la télé que dans leur assiette. Alors j’ai dessiné les aventures de Super-Cochon, en espérant que ça permettrait de toucher les plus jeunes, avant qu’il soit trop tard. Qu’eux au moins puissent changer les choses…
– Et comment l’avez-vous rencontré ? demanda la fille.

Cette fois, le jeune homme la fusilla du regard en la repoussant légèrement. Non seulement elle s’immisçait dans son temps avec James Macer, mais en plus elle allait les ridiculiser !

– Qui donc ? demanda l’auteur.
– Super-Cochon bien sûr ! Je suis déçue qu’il ne soit pas là, j’aurais aimé le rencontrer moi aussi.

Le vieil homme éclata de rire.

– Ma petite, les cochons ne sont pas faits pour se balader dans des endroits pareils, même s’ils sont dressés.
– Oui mais Super-Cochon c’est pas pareil…Avec tout ce qu’il a déjà fait ! D’ailleurs, combien d’animaux avait-il déjà sauvés avant que vous ne fassiez sa connaissance ?

Le fermier s’arrêta brusquement de rire. Il la dévisagea avec les mêmes yeux ronds que le jeune homme avait eus plus tôt.

– Euh petite, désolé de te le dire, mais Super-Cochon n’existe pas dans la vraie vie…
– Bien sûr que si, on l’a tous vu à l’œuvre, répliqua-t-elle avec son rire habituel. C’était formidable quand il a sauvé ces poules de batterie ! J’en avais des frissons ! Quel courage il a ! Mais je suppose qu’il a l’habitude maintenant, il ne doit plus avoir peur n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, où est la ferme dans laquelle il a amené les poules ? On peut leur rendre visite ?

James Macer regarda le jeune homme d’un air halluciné. « Elle plaisante là ? » semblait-il lui demander. Le garçon leva les mains avec un sourire d’excuse.

– Jeune fille, je suis sérieux. Super-Cochon n’existe pas réellement. Je l’ai inventé…
– Mais, mais, balbutia-t-elle. Et toutes ces fois où il a secouru d’autres animaux ?
– Ce ne sont que des histoires ! Tu ne pensais pas vraiment qu’un cochon pouvait voler et avoir des rayons lasers dans les yeux quand même ?
– Mais je l’ai vu ! De mes propres yeux ! Quand il a pulvérisé l’énorme ferme où les veaux étaient séparés de leur mère à la naissance et nourris aux OGM ! Il les a tous emmenés et puis il a fait exploser l’étable !
– C’était un film voyons ! Du cinéma, avec plusieurs cochons entraînés à ça, et des effets spéciaux…Ce n’est pas pour du vrai, rien n’est réel ! Tout est faux…
– Alors ces animaux n’ont pas vraiment été sauvés ? demanda-t-elle les larmes aux yeux. Ils vivent toujours là-bas ? C’est terrible !

Le jeune homme la regarda avec pitié. Elle était vraiment cinglée ! Pourtant, quelque chose en elle, dans ses sanglots, lui serra le cœur. Le sort de ces animaux semblait vraiment important pour elle. Qu’importait-il au fond, que ce soit réel pour elle et qu’elle y croie dur comme fer ? Si ça pouvait la rendre plus heureuse, quel mal y avait-il à ça ?

– Si bien sûr que si, dit-il. Tous les animaux ont été sauvés, tout ce que Super-Cochon a fait s’est vraiment passé. Il te fait juste marcher, pas vrai Monsieur Macer ?

Le dessinateur les considéra tous les deux avec effarement. Son regard passa de l’un à l’autre, comme s’il se demandait de quelle farce il s’agissait.

– Ah tant mieux ! dit la jeune fille en soupirant de soulagement. Ce n’est pas très gentil M. Macer ! Mais je vous pardonne parce que vous êtes l’ami de Super-Cochon. D’ailleurs j’ai quelque chose pour vous, je l’ai fait moi-même, ajouta-t-elle en retrouvant tout son entrain.

Tandis qu’elle s’accroupissait pour prendre sa maquette dans son sac, le jeune homme se pencha discrètement vers son idole.

– Qu’est-ce que ça peut faire ? lui dit-il. Si elle se sent mieux comme ça…

Son interlocuteur le fixa quelques secondes, ne sachant s’il devait insister ou pas. Puis il haussa les épaules et réceptionna la figurine en carton. Il promit de la montrer à Super-Cochon et signa la combinaison de la fille.

Les deux jeunes gens s’éloignèrent, chacun contemplant la signature si convoitée. Le jeune homme comptait exposer son exemplaire de BD dédicacé dans la vitrine où il gardait ses objets collectors les plus précieux. Il s’arrêta donc à un stand pour racheter le numéro correspondant, afin de pouvoir le relire à loisir. La petite brune ne le quittait pas.

– Tu veux qu’on fasse le tour de la convention ensemble ? proposa-t-elle. Il y aura peut-être de nouveaux objets Super-Cochon à acheter.
– Je les ai déjà tous, je les ai commandés sur Internet dès qu’ils ont été annoncés.
– D’accord, mais tu peux m’accompagner ? On parlera de notre histoire préférée…Moi c’est celle avec les chevaux maltraités par ces horribles propriétaires ! Tu te rends compte, 6 mois sans sortir de leur box ni changer la paille ! Quel monstre peut faire ça ?! Heureusement que Super-Cochon est intervenu pour les aider.
– J’ai un train à prendre, je ne pense pas que j’ai le temps de flâner…

« Et certainement pas avec une tarée comme toi ! » pensa le jeune homme. Quelle heure était-il d’ailleurs ? 10h21 déjà ?! Il devait se dépêcher s’il ne voulait pas rater le train de 11h10 ! La gare n’était qu’à 10 minutes à pied, mais on ne sait jamais…Le train pourrait avoir beaucoup d’avance. Ça n’arrivait jamais, mais il y avait une première fois à tout. Et si c’était aujourd’hui, il ne voulait pas risquer de le rater…Le suivant n’était que 40 minutes plus tard, ce qui retarderait son arrivée chez ses parents. Il devait déjeuner avec eux à 13h30, s’il n’était pas là à midi sa mère s’inquiéterait sûrement…Oui, mieux valait ne pas traîner.

– Je dois partir maintenant sinon je vais être en retard, dit-il les yeux rivés sur sa montre.
– Encore, mais c’est maladif chez toi ! Arrête de regarder l’heure ! On est samedi, détends-toi un peu.
– Non vraiment il faut que j’y aille. Ravi de t’avoir rencontrée. Salut !

Et il la planta là, sans un regard en arrière. Il eut vaguement conscience qu’elle lui demandait son numéro, mais il ne se retourna pas. Il fallait qu’il se dépêche. Se faufilant à travers la foule qui déambulait dans l’entrepôt, il franchit à nouveau les portes qu’il avait passées moins d’une demi-heure plus tôt. Une fois dans la rue, il se mit à courir vers la gare, espérant ne pas rencontrer d’obstacle qui le mettrait en retard…

2 réflexions sur “Exercice d’écriture 1: Obsession, Super-Cochon et naïveté”

    1. Clairement! 😂 A la base c’est ce que je m’étais fixée comme limite mais finalement je me suis laissée emportée et j’ai largement dépassé le délai! 😅😂

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