Une courte inspiration qui m’est venue une nuit, en répondant à un commentaire sur Instagram… Grâce à un thé au jasmin qui m’a rappelé les sorties au restaurant chinois quand j’étais petite. C’est donc aussi un voyage dans le passé…
Bizarrement, j’associe toujours cela à l’automne ou à l’hiver. Comme si nous n’allions jamais chez le chinois en été. Mais je me rappelle du froid qui m’enveloppait et de mon impatience. J’étais pressée d’être au chaud, pressée de manger… Et ça ne ratait jamais, le contraste entre la rue et l’intérieur était saisissant.
Je me souviens de cette atmosphère si particulière qui nous happait, à peine la porte franchie. Le rouge carmin. Le bois foncé. Les lumières tamisées qui me donnaient toujours l’impression que les restaurants chinois étaient sombres. Les estampes au mur. Les lanternes en papier et les petites bougies sur les tables. Le tapis épais, qui étouffait les notes d’une musique que je n’entendais nulle part ailleurs. Cette ambiance feutrée, qui nous poussait, je ne sais pas pourquoi, à parler tout bas. Personne n’élève jamais la voix dans un restaurant chinois. Et si un groupe de convives éclate de rire, on trouve presque cela indécent. Comme s’ils perturbaient un rituel.
Je me souviens aussi de ces odeurs qui m’accueillaient, dont je ne connaissais pas le nom, mais qui promettaient des délices à venir… Les krupuk (chips de crevettes) que je laissais fondre sur ma langue pour les sentir pétiller ou que j’écrasais entre elle et mon palais. La sauce soja, dont je ne savais pas très bien si je l’aimais ou pas. Et celle, piquante, à laquelle je n’avais pas le droit de toucher. La soupe WanTan dont je dédaignais le bouillon, ne mangeant que les raviolis, avec cette drôle de cuillère bleue et blanche. Les dés de poulet sauce aigre-douce, principaux responsables de ma relation compliquée avec les ananas. Le riz collant et les fleurs taillées dans des légumes. Il m’avait fallu quelques temps avant de prendre conscience que ce n’était pas de la déco en plastique. Je trouvais cela incroyable et encore aujourd’hui, je me demande comment ils faisaient !
Et puis à la fin du dîner, ces serviettes chaudes parfumées au jasmin, dont on était censé se recouvrir le visage. Je n’ai jamais compris cette pratique. Est-ce une tradition en Chine ? Tout est-il que quand j’étais petite, c’était mon moment préféré du repas. Je ne sais pas pourquoi. Cette sensation de fraîcheur lorsque la vapeur se dissipait, qui contrastait avec la chaleur ressentie durant plusieurs minutes. Le bien-être et la détente que cela procurait. Je crois même qu’une fois je me suis endormie sous ma serviette ! La soirée avait traîné en longueur, les adultes papotaient et moi je commençais à m’ennuyer. Entre ça et la chaleur, il n’en fallait pas plus pour me mettre K.O. !
Ce qui me fascinait aussi, c’était ces minuscules tasses dans lesquelles les grands buvaient leur saké. Cet alcool tellement fort que mon nez piquait rien qu’à le renifler. Dire que dix ans plus tard j’allais avaler un verre de vin à moitié rempli de saké ! Mais à l’époque, je détestais cette odeur. Je me souviens qu’au début je n’avais pas le droit de regarder au fond des tasses. Il y avait des madames toutes nues, ce n’était pas pour les enfants ! Évidement cela ne faisait qu’attiser ma curiosité… Et puis un jour, je ne sais plus qui, s’amusant sans doute de mes grands yeux curieux, m’a tendu sa tasse pour que j’y jette un coup d’œil. Quel délicieux frisson me parcourut à ce moment-là ! J’allais enfin découvrir ce qui faisait tant ricaner les adultes et pourquoi ils faisaient des sous-entendus que je ne comprenais pas.
Tout de suite, j’ai eu l’impression de faire quelque chose de mal. J’avais pourtant interrogé ma mère du regard avant de prendre la tasse, et elle avait hoché la tête en souriant. Mais malgré sa permission muette, je sentais qu’elle désapprouvait. Je crois qu’elle avait accepté uniquement pour ne pas passer pour la rabat-joie de service. Du coup ça renforçait encore ce délicieux frisson provoqué par l’interdit. Même si un brin de culpabilité pointait aussi le bout de son nez. Je n’y avais jamais pensé, mais c’est tout moi ça. Culpabiliser pour des choses stupides, même quand je ne fais rien de mal… Bref…
Inutile de dire que l’arrivée du saké est devenue mon deuxième moment préféré après ça. Maintenant que j’avais regardé une fois au fond d’une tasse, il n’y avait plus de raison de me l’interdire. J’attendais donc que tous les adultes aient fini de boire et je récupérais toutes ces petites merveilles pour regarder à l’intérieur. Chaque fois le même frisson qui me traversait ! Assorti de cette pointe de culpabilité, comme si j’aurais dû me cacher pour faire cela. Alors que tout le monde m’avait bien vu rassembler les tasses…
Aujourd’hui elles me fascinent toujours autant. Non pas pour les images osées qu’elles contiennent, mais pour leur beauté. L’exquise délicatesse de ces services raffinés. La qualité des dessins, la précision du trait, les couleurs vives. Cette fragilité lorsqu’on les tient en main. Ce sont tout simplement des objets superbes. Il faudrait que je m’en procure d’ailleurs… Je ne sais pas à quoi elles me serviraient mais peu importe. On n’a jamais trop de beauté autour de soi…
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